[Terminé] Quintessence

Elles les ont regardés, sur le chemin du retour. Assises et isolées, elles n’ont pas vu les yeux clos. Elles ont vu Mystique les regarder avant de piloter tout le long. Elles se sont interrogées sur le fait que Mystique soit la seule à être encore réveillée, les autres ayant été émotionnellement épuisés. Elles se sont interrogées sur leur propre état. A voix basse. Les formes adamantines semblent indestructibles même si elles ont des suppositions sur ce qui pourrait les blessés. Le fait d’avoir vu leurs existences s’effondrer n’en fait pas parti. Il faudrait pouvoir avoir des émotions et des sentiments, pour cela. Elles n’en ont aucun.

Murmurant, elles se sont demandées combien de temps elles resteraient ainsi. La bleue s’est demande si l’illusion du Chœur a réellement fonctionnée, afin de laisser Jean, madame Darkhölme, Kali et monsieur Xavier quitter le World avec l’impression d’avoir réussi. Elles ne partagent pas cette illusion. Elles ne partagent pas cette impression. Elles n’ont pas encore réussi. Elles sont mortes, comme prévu. Reste à se reconstruire, comme prévu. La première étape est d’abandonner l’abîme. La forme adamantine. Elles pourraient rester ainsi indéfiniment, selon leur expérience. Elles savent néanmoins ce que cela coutera aux autres. Les formes adamantines sont toutes en accord sur le fait qu’elles ne soient pas réellement les Stepford Cuckoos. Pas plus que le Chœur ne l’est. Des altérations de leur inter-individualité, avance la première à s’être inquiétée pour les autres. Des altérations qui ne sont pas pérennes dans le temps. La verte chuchote qu’elles vont toutes naitre, peut-être pour la première fois. La naissance est un moment de douleur et de pleur. Un moment qui annonce la couleur de la vie, constate la mauve. On y arrivera, anticipe la rose.

Le retour à l’Institut s’accompagne d’une demande. Malgré leur absence d’appartenance au personnel, les trois formes adamantines plus âgées tiennent à ce que les deux plus jeunes soient logées dans leur chambre, au moins pour aujourd’hui. Les trois cadres de lit seront redescendus en réserve afin de faire les places nécessaires à deux matelas supplémentaires. L’affaire est aussi grossière que temporaire mais elle semble nécessaire. Les formes adamantines se conformeront aux règles de l’établissement dès le lendemain. Lorsqu’elles seront de nouveau les Stepford Cuckoos.

L’installation se fait. Les tentatives de placer les matelas en étoile aussi. Rabattre les trois coiffeuses contre le bureau au fond de la pièce et faire se chevaucher les cinq têtes des matelas offre un résultant insatisfaisant. Les trois tables de nuit sont également poussées. Seules les deux armoires, de part et d’autre de la porte d’entre et de son interrupteur, sont laissées à la même place. C’est ainsi que la chambre est laissée : la fenêtre apporte la lumière extérieure sur un bureau supportant trois chaises à roulette, lui-même encadré par un miroir plein pied d’un côté et un cabinet de curiosité de l’autre. A son pied à lui se trouvent les trois maquilleuses, face à la fenêtre à renvoyer la lumière. Les trois sièges des maquilleuses sont passés sous le bureau, eux, en compagnie des poubelles. Ensemble, ils dissimulent complètement le tableau qui avait été placé ici. Le tableau de six visages, celui d’un père et de cinq interprétations erronées d’une mère. Tout cela est encore obstrué par les tables de nuit, lesquelles supportent des lampes de chevet enroulées avec leur câble d’alimentation.

Il n’y a jamais eu autant de désordre dans cette pièce.

Même sans compter les cinq matelas dont les têtes se chevauchent toujours.

Aux murs, les dessins de lieux passés continuent de veiller.

La salle de bain mitoyenne permet de nettoyer au gant les surfaces adamantines puis à la brosse les combinaisons maculées de sueur séchée et du sel de larmes disparues. Les chemises de nuit de satin bleu ne sont pas assez nombreuses. Seules les chemises de travail le sont. Alors elles sont prises. Alors elles sont mises. En compagnie de culottes, elles seront suffisantes.

Ainsi apprêtées, de tenue comme de lieu, les formes adamantins s’agenouillent puis s’assoient sur leurs talons. Mains sur les cuisses, elles font silence en regardant par la fenêtre obstruée. Lorsque le soleil d’hiver se couche, elles vont en faire de même. Lorsqu’elles sont toutes allongées, têtes les unes à côté des autres au point que leurs cheveux se chevauchent à l’instar de leurs matelas, les formes adamantines se mettent d’accord. Puis disparaissent.

Les pleurs commencent.