vendredi 6 décembre 2024, matin, Bureaux du S.H.I.E.L.D. à manhattan
Ces derniers jours, je passais mon temps partout sauf en mission. C’était ainsi depuis que j’avais été promu. Cela avait changé drastiquement mon emploi du temps et cela même si l’agent Orchent m’avait offert une nouvelle armure. Au final, Gabriela n’était plus sous ma tutelle donc je ne la voyais plus. Emy avait beaucoup à faire de son côté. Sam n’était plus aux USA. J’avais déménagé pour arriver à Staten Island. Trop de changement ces derniers temps. Personne n’était mort, certes, mais j’avais cette impression tenace d’être seul et cela malgré que j’habitais désormais non loin des familles Barton et Baskerville. Ma famille me manquait mais je n’avais pas de solutions pour l’instant pour ma fille. Alors je me concentrais sur le boulot et faisais les missions demandées ou plutôt répondre positivement aux requêtes.
La requête du jour, c’était Morgan Mobius. Ce mutant qui s’apparentait davantage à un vampire ambulant était désormais consultant/sous surveillance du S.H.I.E.L.D.. Si il n’y a pas si longtemps, il avait commis des actes horribles, il semblait résolu à devenir meilleur – ou à redevenir celui qu’il était avant sa mutation. En tout cas, c’était ce qui était inscrit dans son dossier. Je l’avais consulté récemment, apprenant au passage qu’Emy avait été impliquée et que même si elle m’en avait rapidement parlé je n’avais alors pas encore eu tous les détails. S’il lui avait fait du mal, je ne sais pas comment j’aurais réagi mais ce n’est pas avec le ton amical habituel que je me pointe ce matin dans les bureaux de New-York ou je savais que j’allais pouvoir le rencontrer. Outre la frustration de ces derniers temps suite à l’éloignement de mes proches, je n’étais pas des plus patients, ni des plus jovial. Malheureusement pour lui, Morbius n’aurait pas le droit à mon humour ou ma bienveillance qui me caractérisait tant. Non, à la place, il aurait un agent du S.H.I.E.L.D. de niveau 7 tout ce qu’il y a de plus professionnel. Non pas que j’aillais me transformer en glace comme Orchent mais je savais d’avance que j’allais être plus sérieux et concis.
Arrivant dans les locaux avec un peu d’avance, j’ouvris on blouson noir pour présenter mon badge d’accès avant d’aller en direction des laboratoires. Morbius avait pour consigne de passer tous les matins afin de donner signe de vie et de prendre sa « ration » de sang quotidienne pour ne croquer personne. Mon arme non létale à la ceinture, je me présentais rapidement aux laborantins présents en attendant le docteur buveur de sang.
« La tolérance est une simple indulgence pour ce qu'on ne peut pas empêcher. » Carl Dubuc
Cela faisait désormais un mois que Morgan avait retrouvé sa liberté, quand même celle-ci était soumise à quelques conditions : il n’avait nullement accès à ses dossiers de recherche ni son laboratoire (fort heureusement, sa mémoire lui permettait d’en garder des souvenirs encore vivaces, si bien qu’il avait pu poser sur plusieurs pages ce dont il se souvenait), il vivait dans un appartement gracieusement prêté par le S.H.I.E.L.D. mais néanmoins étroitement surveillé il le savait, il portait un bracelet électronique afin qu’on puisse le localiser à tout instant et enfin, il avait l’obligation de se manifester chaque matin aux bureaux de Manhattan, non seulement pour s’assurer qu’il n’avait pas quitté la ville — de toute façon, pour aller où ? Ainsi que pour récupérer le sang nécessaire à sa survie, et à sa non-dangerosité.
L’accord passé avec madame Orchent puis monsieur Clint avait été religieusement respecté : depuis le début, Morgan n’avait jamais été en retard mais plutôt en avance, se montrait toujours poli et aimable, et n’avait posé aucun problème, se montrant même utile et disponible pour effectuer quelques tâches au laboratoire, toujours sur la supervision d’un agent du S.H.I.E.L.D.
Ainsi, encore ce matin, et comme tous les matins depuis sa libération, il s’était présenté aux bureaux en saluant poliment la dame de l’accueil, qui l’avait gratifié d’un sourire habituel : elle ne prenait même plus la peine de lui demander sa carte. Puis il avait rejoint Aleks qui, avec nonchalance avait été évoqué le match d’hier, le commentant et refaisant les actions comme s’il y était, avant de donner la ration de sang à Morgan, qui n’avait pas pipé un mot : il ne connait absolument rien au foot américain alors il ne peut pas le contredire. Mais il garde le sourire et hoche la tête pour soutenir la conversation, avant de le quitter avec son breuvage en mains : non pas à la vue de tous mais conservé dans une sorte de thermos opaque qui ne laisse rien voir de son contenue. Puis, contrairement aux autres matins, il ne prend pas la direction de la sortie mais s’éloigne dans le couloir en faisant couler le précieux liquide vermeille dans sa gorge, qui soulage aussitôt sa faim… Peut-on seulement imaginer à quel point c’est délicieux, pour lui ? Probablement pas et heureusement d’ailleurs.
Arrivant devant le bureau indiqué, Morgan passe machinalement la pointe de sa langue sur ses lèvres tout en toquant à la porte pour manifester sa présence, s’avançant alors de quelques pas tout en affichant un visage aimable, sans sourire exagéré mais arborant néanmoins une posture ouverte : « Bonjour… Je suis Morgan Morbius. » Poli, il attend que l’agent l’invite à entrer… Ce dernier est d’une stature musclé et d’un visage fermé : visiblement, celui-ci s’est levé du mauvais pied…
vendredi 6 décembre 2024, matin, Bureaux du S.H.I.E.L.D. à manhattan
Le regard fixé sur la porte, j’attends l’arrivée du Docteur Vampire que devait savoir qu’il avait une visite de courtoisie ce matin. Cela faisait un mois qu’il était « libre » et il m’avait été assigné comme tâche de faire un rapport sur ses agissements, ressentis et toute autre information qui m’était alors disponible de savoir à son sujet. Puis finalement, il est là et j’ai l’impression de faire la baby-sitter d’un coup mais peut-être est-ce que c’était la mauvaise humeur qui parlait pour moi.
Je le regarde entrer et lui fait signe de s’asseoir. Dans la pièce allouée pour l’occasion, il y a des armoires scientifiques remplis de divers objets que je ne saurais probablement même pas nommer et encore moins dire leurs effets. N’étant pas du tout de la division scientifique, je pense que l’agent Orchent aurait été plus à même de faire cet interrogatoire mais qu’importe. Elle est suffisamment prise pour que je puisse m’en charger. Même si j’ignore si mon opinion apportera vraiment quelque chose à la suite de cette entrevue… Bordel, que j’n’aime pas être comme ça. Au milieu de la pièce il y a une table avec des chaises et je m’installe sur l’une d’elles en faisant signe à Morbius de faire de même. Je prends mon téléphone et le pose sur la table, simple précaution :
« Agent Smith du S.H.I.E.L.D.. Je suis là ce matin pour une entrevue de mise au point étant donné que cela fait un mois environ que vous êtes sortis du Raft. »
Je dois avouer que j’ai rarement l’occasion de me trouver en présence de personnes qui ont tué des innocents et qui se retrouvent libre à tout vas mais j’ose espérer qu’il n’aura pas envie de me bouffer si je suis un peu rustre ce matin.
« Cet entrevue sera enregistrée. Il est neuf heures sept, nous pouvons commencer. Monsieur Morbius… Ou docteur peut-être ? Avez-vous pris votre ration ce matin ? Comment s’est passé ce mois ? »
Je m'installe alors dans le fond du siège et garde mon regard sur l'homme assis en face de moi, attendant ses réponses avec assurance et fermeté tout en conservant, je l'espère, cet air bienveillant sur mon visage. Un air qui a disparu ces derniers temps malheureusement...
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L’inconnu à l’expression un peu rustre lui indique de s’asseoir face à lui, alors le vampire obtempère en atténuant inconsciemment son sourire, ayant un peu l’impression d’être soumis à un jugement terrible en cet instant : si l’homme sait pertinemment ce qu’il a fait, est-ce la raison pour laquelle il semble autant austère à son contact ? Voilà de quoi ne pas le mettre vraiment à l’aise mais il s’efforce de paraître aimable, ne voulant pas donner une mauvaise image de lui-même. Peut-être est-ce un test visant à le mettre à l’épreuve ?
Appuyant son dos sur sa chaise, il dépose calmement ses mains sur ses accoudoirs tout en posant ses yeux, un bref instant, sur le téléphone posé à côté de l’agent : l’entrevue va être enregistré, et il hoche machinalement son menton de haut en bas à l’apprenant. L’agent Smith remue un peu le couteau dans la plaie en abordant le sujet du docteur mais, essayant de ne rien laisser paraître de ce sujet sensible, il racle discrètement sa gorge en répondant, calmement : « Morgan ou Morbius suffira. » Son index pianote quelques secondes sur l’accoudoir tandis qu’il tente de conserver un peu de contenance, ses lèvres mimant l’ébauche d’un sourire avant qu’il ne reprenne la parole, faisant abstraction du regard pesant qui est posé sur lui : « Oui, je l’ai prise il y a environ une demi-heure. Je viens tous les matins à la même heure, parfois je repars après ou alors je traîne un peu avec les agents du laboratoire, quand ils ont besoin de moi. » Est-ce qu’il n’aurait pas dû garder ce détail pour lui ? Théoriquement, comme il est consultant pour le SHIELD, il répond simplement à une demande qu’on lui soumet, et ne s’impose jamais quand on n’a pas besoin de lui mais, vu l’expression du monsieur… Il redoute un peu de devoir subir un interrogatoire à présent.
Raclant discrètement sa gorge, il se redresse quelque peu en poursuivant, d’une voix toujours aussi calme bien que visiblement mal à l’aise dans cette discussion qui n’en est pas vraiment une : « Bien… Je crois. C’est un peu difficile de me faire à cette nouvelle vie mais, je m’estime déjà chanceux d’être en liberté. » Baissant les yeux sur sa main, il presse ses lèvres l’une contre l’autre avant d’avoué, d’une voix brisée qui ne peut qu’appeler la compassion : « Ma fille me manque. Mais je comprends que c’est le mieux pour elle alors… Je fais avec… Ou plutôt sans. C’est comme ça. » Le père résolu, mais brisé, garde les yeux vers le sol ; difficile de croire qu’il est une menace, un tueur, et pourtant…
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L’entretien avait à peine commencé que j’avais déjà l’impression de l’avoir mis mal à l’aise. Pour ma part, il n’y avait rien de volontaire ou presque rien. A vrai dire, je n’étais juste pas encore tout à fait à l’aise avec mon nouveau rang d’encadrant. L’homme s’assit sans broncher en face de moi et il ne répondit rien hormis un simple hochement de tête lorsque je lui signale.
Je pose mes premières questions peut-être de façon un peu directe mais en même temps, je me vois mal tourner autour du pot pendant 10 ans. Et je m’installe alors qu’il me confirme qu’il préfère être appelé par son prénom ou son nom de famille. Il ne se sent plus docteur visiblement. C’est un fait que je me note dans un coin de ma tête avant d’acquiescer à sa requête d’un hochement de tête à mon tour. Mon regard ne se détache pas de lui malgré tout surtout qu’il commence véritablement répondre à mes premières questions. Je l’écoute, reste silencieux. Peut-être devrais-je tiquer lorsqu’il parle d’aider les autres laborantins. J’estime que si lui ne connait pas tous les protocoles de sécurité, les agents nommés du S.H.I.E.L.D. doivent les connaitre. C’est une information que je me note pour plus tard également que je vérifierais. Puis au lieu de potentiellement le réprimander sur une potentielle erreur que je ne suis pas encore certain qu’il a commise, je préfère revenir à ma bonne vieille carte de la franchise et de la sincérité :
« L’on ne se refait pas Morbius, un scientifique reste toujours un scientifique. Même si vous ne souhaitez plus être appeler par votre titre, cela ne vous retire pas vos connaissances et votre passion… Du moins, j’imagine. »
Je me redresse dans ma chaise :
« Cela étant nous avons certains protocoles de sécurité, et je pense vérifier que vous n’ayez eut accès à aucune information que vous n’auriez pas eu le droit de voir. L’on est d’accord ? »
La froideur de mes paroles n’est pas à mon habitude mais cela ne veut pas dire que je ne l’apprécie pas pour autant. Après tout, je ne le connais pas. Je le laisse poursuivre pour répondre à la seconde partie de mes questions, j’acquiesce à nouveau d’un hochement de tête. En effet, il a de la chance d’être libre même s’il doit rester dans le coin et sous surveillance. Il est libre d’aller et venir dans les rues de la grosse pomme à sa guise, entouré par des centaines de milliers de personnes qui en sa présence deviennent toutes des cibles potentielles. Cependant lorsqu’il baisse les yeux pour ce qui semble être une confession, je sens que je perds légèrement mes moyens. Etre père est une responsabilité que j’ai connue et d’ailleurs je suis toujours un père même si je suis séparé de ma fille depuis des années. Je savais sa fille mentionnée dans son dossier mais j’ignoré qu’il ne la voyait plus ou même qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de lui :
« Comment ça ? Vous n’avez pas revu votre fille depuis quand ? »
Redressé d’un coup, je pose mes deux avant-bras sur la table afin de joindre mes mains tout en conservant mon regard sur lui. Celui-ci semble s’être naturellement apaisé à la mention de sa paternité. Nous voilà un point commun, mélancolique certes mais tout de même présent.
« La tolérance est une simple indulgence pour ce qu'on ne peut pas empêcher. » Carl Dubuc
La voix de l’homme n’est pas tranchante, mais néanmoins sèche. Peut-être que les deux hommes sont mal-à-l’aise ensemble, mais pas pour les mêmes raisons : Aaron parce qu’il n’a pas l’habitude de mener des entretiens de ce type, avec un danger ambulant de surcroit, et Morgan parce qu’il a l’impression de passer devant un tribunal qui l’a déjà condamné. Mais il s’obstine à refuser toute forme de défiance, se montrant ouvert et même coopératif lorsqu’on lui pose des questions, ne voulant pas aggraver l’image, sans nul doute défavorable, que l’homme a de lui. Mais peut-il lui en vouloir ? Difficile de ne pas être hostile en face de l’homme ayant fait une vingtaine de victimes et retrouvant la liberté, sans justice pour les familles endeuillées.
Mais peut-être se montre-il trop coopératif, justement. Il veut bien se montrer et prouver qu’on peut lui faire confiance, alors il avoue (involontairement) qu’on le laisse aider dans les laboratoires lorsque c’est nécessaire : l’agent du S.H.I.E.L.D. ne s’en offusque pas, de prime, se montrant même complice sur un certain point, si bien que Morgan se détend en déliant un sourire nerveux, mais néanmoins sincère. « Non, en effet. Je ne me sens à ma place que dans un laboratoire. » L’agent, se redressant pour afficher une posture davantage sérieuse et autoritaire, évoque les protocoles de sécurité et les informations confidentielles, qu’il ne doit absolument pas consulter : il le comprend. Hochant vivement son menton de haut en bas, il s’empresse de répondre, sans aucun mensonge : « À mon sens, puisque je ne sais pas ce qui m’est interdit, je pense que oui. On évoque surtout mes recherches, notamment le sang artificiel que j’ai créé. » Et qui doit sauver la vie de vos agents sur le terrain, aurait-il pu ajouter s’il n’avait pas eu envie que l’homme l’apprécie.
Puis, vient sur la table un sujet plus sensible et personnel : sa fille. Il ne peut plus la voir, il sait pourquoi et là encore, résigné, il accepte et comprend mais, la compréhension et l’acceptation n’atténue pas la douleur et le manque. Il couvre sa main avec l’autre, comme d’un geste inconscient pour se consoler et se rassurer, comme pour être moins seul dans cette souffrance terrible qui ne connait aucun apaisement. « Depuis mon entrée au Raft. » Dit-il d’une voix étranglée, rendue difficile ; il s’éclaircit la gorge au milieu de sa phrase, avant de changer de position sur sa chaise, son regard s’éparpillant au possible pour ne pas avoir à croiser celui d’Aaron.
Ses yeux brillent de tristesse et il n’a pas envie qu’on le voit ainsi. Pourtant, tout son corps hurle une douleur indicible, celle d’un père privé de son enfant. L’homme, le médecin, le monstre et l’assassin, ne sont plus : il suffit d’un coup d’oeil pour s’apercevoir que le père, brisé, lutte pour ne pas pleurer. « Mademoiselle Orchent m’a conseillé de renoncer à mes droits parentaux, que… » La vérité est si dure à prononcer. « Qu’il était mieux pour ma fille d’être loin de moi. » Elle a sûrement raison, personne ne pourra la contredire : qui aimerait avoir un tueur pour père ?
Alors qu’il regarde vers le bas, les yeux emplit de larmes, il secoue lentement son menton de gauche à droite en réprimant un petit sourire, qu’il explique avec les mots suivant : « C’est assez ironique… J’ai toujours pensé qu’elle avait besoin de moi mais, maintenant que je suis séparé d’elle, je me rends compte que c’est l’inverse. C’est moi qui ai besoin d’elle. » Essuyant sa joue humide à l’aide de sa manche, il racle discrètement sa gorge en essayant de reprendre de la contenance, disant alors : « Désolé. Ce n’est sans doute pas le sujet. »
vendredi 6 décembre 2024, matin, Bureaux du S.H.I.E.L.D. à manhattan
Si cet entretien n’était pas le plus chaleureux du monde, il n’y avait pas pour autant d’animosité entre nous. D’une part parce que je sais que je ne risquais pas grand-chose, mon pouvoir me permettant une bonne solution de repli. Et d’autre part parce qu’au fond de moi-même, je savais que l’homme qui était assis en face de moi n’était pas un mauvais bougre.
D’ailleurs, j’avais vu juste en lui parlant que même s’il ne désirait plus être appelé docteur, il n’en restait pas moins un scientifique, preuve en est qu’il avait bien du mal à passer près d’un laboratoire sans pouvoir s’y arrêter. Un sourire traverse brièvement mes lèvres en entendant sa réponse :
« Je comprends, je suis pareil, mais avec les missions sur le terrain. Coincé derrière un bureau, je ne me sentirais pas à ma place. »
J’étais un homme de terrain et ma nouvelle accréditation ne changeait rien au fait que j’aimais être sur le terrain même en tant que superviseur. C’était même mieux à mon sens de protéger les arrières de mes agents si j’étais avec eux pour leur offrir un repli si nécessaire. Cependant, afin de garantir la sécurité et surtout les règles établies, je précisais malgré tout au doc’ … à Morbius que j’allais vérifier les sujets abordés, qu’il n’y ait rien de confidentiel dans ces laboratoires. Et en même temps, cela me paraissait logique qu’un labo aussi centralisé au cœur de New-York ne travaille pas sur des projets sensibles. Cependant, je tends à faire confiance en Morgan Morbius. Même s’il a dérapé, il prouve sa bonne foi ces derniers temps :
« Bien. Cela m’arrangerait à vrai dire. »
Une fois encore, j’essaie de voir le positif et de me détendre. Je lui demande alors comment il vit sa nouvelle condition et sa réponse m’interpelle, surtout lorsqu’il évoque sa fille qu’il n’a pas revue depuis un long moment. Lorsque je l’interroge sur le sujet, ce que j’apprends me faire bouillir de l’intérieur. Comment a-t-elle pu ? Même si son père a tué des gens, même si c’est un criminel, elle n’avait pas à lui apporter ce genre de conseil tout en sachant qu’elle n’a pas d’enfants et qu’elle est dépourvue d’émotions. Ma rencontre avec l’agent Orchent s’est soldée par une relation que je pourrais qualifier d’incomprise. Mais apprendre qu’elle a… :
« Elle a quoi ? …. Et vous l’avez fait ? Vous avez signé les papiers ? »
Je suis sincèrement surpris et stupéfait. Peut-être est-ce le fait d’être père qui me fait réagir ainsi, mais malgré tout, je parviens difficilement à garder mon sang-froid. L’on retire la garde des enfants à des personnes qui pourraient leur faire du mal ou qui ne sont pas capables de s’en occuper, c’est un fait. Mais, dans le cas présent, l’homme que j’ai devant mes yeux, malgré tout ce qu’il a pu faire, ressemble plus à un père désemparé qu’à un monstre. Je l’écoute avec attention tout en me tenant plus droit sur ma chaise. Si lui ne me regarde pas, je continue d’observer ses réactions et son visage qui me rappelle tout ce que j’ai pu ressentir depuis que je suis loin de ma propre fille.
« Vous n’avez pas à vous excuser. Cela fait partie du processus pour savoir si votre réhabilitation se passe bien. Cependant, je peux vous assurer que vous avez raison sur ce sujet. Ce ne sont pas nos enfants qui ont besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’eux pour nous sentir mieux. … Je comprends, peut-être même mieux que vous ne le pensez… »
Je me racle la gorge, hésites à éteindre l’enregistrement, mais finalement mon dossier fait déjà mention de ce que je m’apprête à dire :
« Je suis père également. J’ai perdu ma fille lorsque j’ai été snappé et pas elle. A mon retour du snap, elle avait disparu et j’ai mis près d’un an avant de la retrouver, mais elle a refait sa vie et je ne suis plus avec elle aujourd’hui. Pour autant, je suis et je reste son père et elle sait qu’elle peut revenir vers moi quand elle le voudra. Pour vous, c'est pareil. Elle est et elle reste votre fille… Si elle est actuellement avec d’autres personnes, le temps que vous soyez réhabilité, cela n’empêche en rien que vous restez son père et probablement une des personnes les plus importantes à ses yeux. »
« La tolérance est une simple indulgence pour ce qu'on ne peut pas empêcher. » Carl Dubuc
La froideur de la première rencontre, peut-être rendue ainsi par les appréhensions mutuelles, laisse progressivement place à un climat de confiance et à un discours plutôt amical : cette froideur première est légitime, car l’un rencontre un scientifique malencontreusement transformé en un tueur ayant semé plusieurs victimes sur son chemin, quand ce dernier rencontre l’homme qui peut, potentiellement, lui ôter la liberté qu’il vient de retrouver. Mais petit à petit, l’un découvrant le calme et la bonne nature de l’autre, la glace se brise et une atmosphère plus chaleureuse s’installe entre eux.
« Je comprends, je suis pareil, mais avec les missions sur le terrain. Coincé derrière un bureau, je ne me sentirais pas à ma place. » Un sourire répondant à celui du blond, il penche légèrement son menton sur le côté en faisant un trait d’humour qui, il l’espère, sera bien accueilli : « Vous êtes pourtant derrière un bureau, en ce moment. » D’ailleurs, que fait un homme de terrain, ne supportant visiblement pas l’immobilité, à un tel poste ? Comment se retrouve-t-il en pseudo agent de probation ? Morgan l’ignore mais ne ressent pas le besoin de poser ouvertement la question, songeant que, si on lui confie cette tâche, c’est qu’il est amplement qualifié pour l’accomplir.
Une fois rassuré sur le fait que Morgan n’a pas accès à des informations sensibles, Aaron se détend : le scientifique voit, physiquement, que le soulagement pousse ses traits à se défroisser et ses épaules à retomber, relâchant la contraction engendrée par les suspicions. Ensuite, il lui demande comment le retour à la vie normale se fait ; les premiers mots de Morbius se font sans l’ombre d’une fausse note, jusqu’à ce qu’il évoque sa fille, qui lui a été arraché. Sa voix se brise, son regard devient fuyant, son corps se crispe d’une douleur muette, car le mal est physique, le manque, aussi. Son rire, l’odeur de ses cheveux, le son de sa voix, ses câlins dès le matin… Qu’est-ce qu’elle fait, en cet instant ? Il ne pose pas la question, il n’a pas le droit. Il n’a plus aucun droit sur elle. « Elle a quoi ? …. Et vous l’avez fait ? Vous avez signé les papiers ? » Un peu surpris de cette réaction, Morgan lève des yeux brillants vers son interlocuteur, en hochant maladroitement son menton de haut en bas : « Oui, il le fallait… L’agent Orchent a dit que son nom de famille, le mien, serait une pression sociale. Qu’à cause de moi, il lui faudrait des années de thérapie… » La culpabilité, la pire, c’est celle-ci : s’il s’en veut, s’il se maudit d’avoir tué toutes ces victimes innocentes, il s’en veut encore plus d’avoir fait voler en éclats la vie de sa propre fille. Qu’est-ce qu’elle doit se dire ? Qu’est-ce qu’elle doit penser ? Que son père est un monstre, sans doute.
Ses mains tremblent de nervosité sur ses cuisses tandis qu’il tape du pied en mordillant l’intérieur de sa joue, soudainement pétri par des tas d’émotions qui viennent le submerger comme un torrent destructeur. Mais ne voulant pas perdre la face, il remonte ses mains tremblantes contre son visage, essayant de se contenir ; il racle sa gorge, frotte ses yeux, essuie les larmes qui ont commencé à dégringoler de ses paupières puis, comme il entend la voix de l’agent Smith, il renifle discrètement avant de l’écouter, attentivement…
Il est père, aussi, et largement compréhensif : il songe, à l’inverse de l’agent Orchent, que la place d’une petite fille est auprès de son père. Il ne peut le contredire, et force est de constater que les paroles d’Aaron trouve un écho particulier dans son esprit car il cligne plusieurs fois des cils, à la fois surpris de trouver une oreille aussi attentive en sa présence et de se sentir, peut-être pour la première fois dans ces locaux, soutenu. « Je suis content que vous ayez pu retrouver votre fille… Un an sans elle, ça a dû vous paraître une éternité. » Une éternité d’horreur, de souffrances, de manque et d’angoisse. Il connait bien tout ça. « Comment s’appelle votre fille ? La mienne s’appelle Roxianne. » Un léger sourire, à la fois attristé et tendre, se dessine sur ses lèvres durant quelques secondes avant qu’il se reprenne sur sa chaise, raclant discrètement sa gorge pour dire, d’une voix un peu plus grave et en perdant peu à peu son sourire : « Il faut que je vous dise, l’argent Orchent ne m’aime pas beaucoup. C’est elle qui m’a fait sortir du Raft, alors je voulais la remercier en lui apportant une boisson chaude, je voulais juste la remercier, je vous assure que je n’avais aucune autre intention mais… Elle a demandé une ordonnance restrictive à mon encontre. » Il grimace, ne sachant pas réellement s’il doit en rire ou en pleurer alors, dans le doute, il grimace en haussant ses sourcils. « Je voulais juste la remercier parce que, sans elle, je serai encore au Raft. » Au cas-où ce n’était pas assez clair la première fois qu’il l’a dit…
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La conversation avec le Doc ou plutôt Morbius était plutôt cordiale. Si au départ il y avait eu cette informalité, mise en place par ma propre personne, au final, la conversation s’est presque détendue malgré le sujet lourd de sens qu’est notre parentalité. Il est père, tout comme moi. Il est séparé de sa fille, tout comme moi. Il est triste d’être loin d’elle, tout comme moi. Ce sentiment d’impuissance qui silencieusement nous lient réveille en moi quelque chose que je n’imaginais pas tout à fait, sans jamais me l’avouer vraiment. Ma place était auprès de ma fille, qu’importe où que cela soit… Je me devais demeurer auprès d’elle.
Cependant, il n’est pas l’heure de penser à mes propres intérêts et mes propres idéaux chimériques d’une relation familiale en demeure, mais bien de me concentrer sur l’homme qui est en face de moi. Ce qu’il m’annonce me fait comprendre qu’une fois n’est pas coutume, l’agent Orchent a vraisemblablement un cœur de pierre ou bien qu’elle a une telle carapace qu’elle n’est plus capable de faire preuve d’empathie. Cela étant, je tente de comprendre sans porter un jugement ouvert et négatif sur ma collègue. Morbius n’a pas besoin de savoir ce que je pense personnellement d’elle et ce n’est pas le sujet. Je grogne cependant à ses propos quant à la thérapie potentielle de sa fille en remplissant le dossier d’une note à cette attention.
Le voir dans cet état m’incite à finalement me confier sur ma propre situation. Faire preuve d’empathie est visiblement quelque chose que les gens ne lui ont pas octroyé ces derniers temps. Même s’il est un mutant et que sa mutation est importante, il n’en reste pas moi un humain avec des émotions. Il reprend mes paroles et je réagis silencieusement. En effet, un an sans elle m’a paru être une éternité, mais je sais désormais que je ne pourrais pas passer une autre éternité loin d’elle.
La conversation dévie à nouveau sur l’agent Orchent et j’ai un sourire au coin des lèvres lorsqu’il me raconte son aventure avec la boisson chaude. Je pose mon regard sur lui et balance en toute franchise :
« L’agent Orchent n’aime pas grand monde. Mais c’est un autre sujet. Revenons à vous… »
Je continue à lui poser des questions encore pendant plusieurs minutes et il y répond avec franchise. L’entretien se passe parfaitement bien et finalement, Morbius arrive à me rendre ma bonne humeur naturelle. Lorsque le moment se termine, j’éteindrai le magnétophone et je me lève pour serrer la main de l’homme vampire avant de partir et retourner chacun à nos occupations.
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